23 octobre 2025

Les Français en quête de sens au travail

Le travail occupe une place particulière dans la vie des Français. Une étude publiée le 17 octobre par la fondation Jean Jaurès cherche à comprendre pourquoi il est si important de donner du sens à son activité professionnelle. Elle examine aussi les raisons pour lesquelles de nombreux salariés ressentent une perte de sens, pouvant engendrer un mal-être au travail.

Selon cette étude, les Français entretiennent un rapport affectif avec leur emploi. Salima Benhamou, économiste à France Stratégie, souligne que « l’aspiration à l’autonomie et à la reconnaissance du travail » est fortement liée à une « logique de l’honneur ». Pour eux, le travail contribue à leur sentiment de fierté et d’estime de soi.

Ce lien émotionnel avec le travail renforce l’importance de trouver un « sens ». Depuis quelques années, cette recherche de sens est devenue encore plus centrale, notamment après la crise sanitaire, qui a incité à la réflexion. Parmi les cadres, « avoir le sentiment de faire un travail utile et qui a du sens » arrive en second rang parmi neuf critères d’épanouissement professionnel. La perte de ce sens est aujourd’hui un motif majeur de démission.

La difficulté croissante à percevoir le résultat concret de son travail

Le concept de sens varie selon les individus. Il inclut notamment celui de l’utilité. Ce sentiment est plus facilement ressenti lorsque l’on peut visualiser le résultat de son travail ou le produit fini. Or, ce n’est pas toujours évident pour tous les salariés.

Dans le cadre d’une économie dominée par les métiers de service (…), les tâches souvent individualisées à l’extrême sont en effet peu compatibles avec la mise en perspective d’une contribution personnelle à la performance globale, explique Romain Bendavid, spécialiste des enjeux liés au rapport au travail.

Plusieurs professions sont concernées. Romain Bendavid évoque notamment les métiers internes, comme les ressources humaines ou la comptabilité, qui n’ont pas de contact direct avec des clients. Il précise que, pour donner du sens à leur travail, il faut croire à sa contribution au bon fonctionnement de l’entreprise. Mais l’éloignement des circuits de décision et l’absence de signes de reconnaissance extérieurs peuvent fragiliser cette conviction, moins tangible et moins mesurable.

Décalage entre l’investissement personnel et la récompense

L’étude souligne aussi que le sens au travail est lié à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Elle indique que le sentiment d’être en décalage avec son emploi a fortement augmenté en trente ans. Ce phénomène est notamment associé au rejet massif de la réforme des retraites en 2023.

Les actifs sont de moins en moins enclins à reproduire ce décalage vide de sens entre investissement personnel et faible contrepartie, développe Romain Bendavid.

Selon l’étude, cette perte de sens provient d’un écart entre l’image que l’on se fait de son travail et la réalité du quotidien. Les causes possibles sont multiples : sentiment d’inutilité, organisation très verticale, contrôle excessif, manque de confiance ou automatisation des activités.

Le manque de reconnaissance

La reconnaissance joue un rôle clé dans le sentiment de sens. Son absence est un problème récurrent.

Or, le manque de reconnaissance du travail à sa juste valeur est un talon d’Achille de la culture managériale française, compare la dernière vague du baromètre de la confiance politique du Cevipof, où moins de la moitié des actifs ou retraités (47 %) estiment que leurs efforts sont reconnus et récompensés.

Les salariés ont souvent l’impression que leur entreprise privilégie ses clients plutôt que ses employés. Ils estiment aussi contribuer à la performance de leur structure. Pourtant, le manque de reconnaissance atténue leur sentiment d’utilité et de sens.

Le management à la française, vertical et méfiant

Selon une étude de l’Igas publiée en mars, les pratiques managériales françaises sont très hiérarchiques. La reconnaissance du travail y est « beaucoup plus faible » que dans d’autres pays. La culture managériale française se caractérise par une méfiance envers les niveaux inférieurs et une forte tendance au contrôle et au reporting.

Ce mode de gestion limite la marge de manœuvre des employés et leur donne une sensation d’être interchangeables. Cela nuit à leur capacité à exprimer leurs compétences et à s’impliquer pleinement dans leur travail.

Romain Bendavid cite notamment le témoignage d’une employée du secteur de l’aide sociale à l’enfance, qui décrit son métier comme étant devenu « une lourdeur administrative insupportable », avec des rapports à rendre qui « personne ne lit ».

Ce constat n’est cependant pas irréversible. L’Igas indique que dans certains pays comme l’Allemagne ou la Suède, le dialogue social favorise des pratiques managériales plus souples. En France, où ce dialogue a une influence limitée, le management reste plus vertical, ce qui nuit au sens donné au travail.

La fondation Jean Jaurès appelle à repenser cette culture managériale. Elle recommande d’assouplir le contrôle et le reporting, et d’encourager la responsabilisation individuelle.

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